Les femmes, grandes oubliées de l’agriculture indienne

 

P1010568

 

Certaines campagnes menées par des ONG marquent des points. Mais globalement, les agricultrices, pourtant majoritaires, peinent encore à faire reconnaître leurs droits.

Suresho a enfin obtenu ce qu’elle voulait. Etre propriétaire de son petit bout de terrain. « Après avoir longtemps tenu tête à mon beau-père, il a fini par céder », raconte cette femme : il a consenti à me donner un titre de propriété ». L’agricultrice n’a obtenu qu’un peu moins d’un hectare. Mais en Inde, c’est déjà une belle victoire. Dans ce pays, où être une femme est souvent encore perçue comme une calamité, les agricultrices restent fortement discriminées. Sur les 60% de la population qui travaille dans ce secteur, 70 à 80% sont des femmes, et seules 13% possèdent leurs terres. Or, ce titre de propriété conditionne souvent le reste. Sans lui, l’accès aux semences, aux outils agricoles, aux formations et au crédit reste compliqué. « J’ai demandé une carte de crédit Kisan (réservée aux agriculteurs elle leur accorde certains avantages) », confirme Suresho, « mais là encore j’ai dû affronter des obstacles. Les employés de la banque exigeaient que mon mari m’accompagne pour me la donner ! ».

Bien conscients que cette iniquité constitue un frein à la productivité du pays, certains ont tenté d’introduire ce débat au parlement. En 2011, M.S Swaminathan, connu pour avoir initié la révolution verte, a ainsi déposé « la loi sur les droits des agricultrices », un projet visant à mettre fin à cette discrimination. Celui-ci est cependant vite tombé aux oubliettes. « De plus en plus de femmes se retrouvent seules à la tête de la ferme lorsque leurs maris partent, contraints de migrer en ville pour trouver du travail », rappelle-t-il, « mais personne ne leur accorde la moindre reconnaissance légale ». En théorie, pourtant, rien ne s’oppose à ce que les femmes deviennent propriétaires. Mais les moeurs ont la vie dure. « Lorsqu’une femme hérite de terres, on lui fait vite signer un papier pour qu’elle les cède à l’homme de la famille », explique Vanita Suneja, chargée des programmes de justice économique d’Oxfam India.

 

P1010567

 

Il y a trois ans l’ONG a soutenu le groupe environnemental Gorakhpur et d’autres associations indiennes lorsqu’ils ont lancé « Aaroh ». Cette campagne menée dans 71 districts de l’Uttar Pradesh, l’Etat le plus peuplé de l’Inde, vise à sensibiliser les femmes sur leurs droits. « Grâce à ces années de mobilisation, certaines ont enfin pu devenir propriétaires de terres agricoles, et 8000 maris ont donné leur accord par écrit pour mettre les titres de propriété aux noms des deux époux conjointement », rapporte Oxfam. Un début prometteur, même si le chemin reste encore long. En Uttar Pradesh, encore aujourd’hui, seules 6% des femmes sont propriétaires de leurs terres, moins de 1% d’entre elles ont participé aux stages de formation offerts par le gouvernement, 4% ont accès au crédit par les banques et seulement 8% exercent un contrôle sur les revenus agricoles.

 

Comment augmenter la productivité?

Octroyer aux femmes plus de droits ne serait pas seulement bénéfique à l’émancipation de la société. Ces avancées auraient également des vertus pour lutter contre la faim. « Lorsque les femmes n’ont pas accès au crédit, la proportion d’enfants qui souffrent de la malnutrition est de 85% plus élevée, soulignait Olivier De Schutter dans un rapport de 2013. Selon l’ancien rapporteur spécial de l’ONU : « L’autonomisation des femmes est la mesure la plus rentable pour faire reculer la faim ».

Laisser un commentaire